À la suite du refus de Google de supprimer des liens pointant vers des pages web contenant des données personnelles les concernant, 13 particuliers ont saisi le Conseil d’État. Tout en statuant sur ces différents dossiers, la haute juridiction administrative a rappelé que si le déréférencement est un droit, il n’est pas absolu et qu’une balance doit être trouvée entre le respect de la vie privée des demandeurs et le droit à l’information du public.
Sommaire
Les 13 décisions du 6 décembre 2019
13 particuliers ont saisi Google de demandes de déréférencement de liens vers des pages web contenant des données à caractère personnel les concernant. À la suite du refus de Google, ils ont saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) d’une plainte afin qu’elle mette Google en demeure de procéder à ces déréférencements. La Cnil ayant également rejeté leurs plaintes, ces personnes ont directement saisi le Conseil d’État afin qu’il annule ces décisions de refus.
Sur ces 13 recours, le Conseil d’État a été amené à statuer sur 18 cas de figure différents : il a constaté 8 non-lieu à statuer, rejeté 5 demandes et prononcé 5 annulations. Dans un certain nombre d’affaires, Google avait pris les devants, en procédant aux déréférencements demandés. Dans d’autres cas, le contenu des pages web avait été modifié depuis l’introduction des requêtes. Le Conseil d’État a alors constaté le non-lieu à statuer, les demandeurs ayant déjà obtenu satisfaction.
Parmi les 13 affaires soumises au Conseil d’État, on peut citer celle où un ex-représentant de l’Église de scientologie réclamait la suppression d’un lien renvoyant vers un article de presse dans lequel il était indiqué qu’il figurait dans une enquête judiciaire suite au suicide d’une adepte de la scientologie. Dans un autre dossier, il s’agissait d’une dempande de suppression dans les résultats affichés par Google, de plusieurs liens hypertextes renvoyant à des articles de journaux, des billets de blogs ou d’autres médias faisant état d’une affaire judiciaire liée à un fonds d’investissement dans laquelle le requérant avait été mis en cause avant d’être relaxé.
Droit au déréférencement et données sensibles : la grille de lecture retenue
Treize particuliers confrontés à un refus de déréférencement par Google avaient saisi la CNIL pour obtenir satisfaction dans l’exercice de leur droit. Non satisfaits dans leur demande par l’autorité de contrôle française, les intéressés ont saisi, en dernier recours, le Conseil d’Etat, qui s’est tourné vers la CJUE dans le cadre de questions préjudicielles le 24 février 2017.
C’est dans ce contexte que, par décision du 24 septembre 2019, la CJUE a posé les conditions entourant l’obtention du déréférencement d’un lien renvoyant plus spécifiquement vers des données sensibles.
Elle opère une pondération entre l’intérêt du public à accéder à l’information et le respect de la vie privée des personnes concernées, pondération d’autant plus stricte que les données en jeu sont sensibles, au sens de l’article 8 de la directive précitée et des articles 9 et 10 du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Le rôle de la personne concernée dans la vie publique est aussi pris en considération. Si le lien renvoie vers des données de nature pénale, l’exploitant du moteur de recherche doit envisager, eu égard aux circonstances de l’espèce (gravité de l’infraction, déroulement de la procédure, temps écoulé, rôle et comportement publics de la personne…), de mettre en avant une page web relayant des informations à jour des pages antérieures.
Une balance entre vie privée et droit à l’information
La juridiction administrative rappelle que si le déréférencement d’un lien est un droit, il n’est pas absolu. En effet, une balance doit être opérée entre le droit à la vie privée du requérant et le droit à l’information du public. L’arbitrage entre ces deux libertés dépend de la nature des données personnelles concernées par la requête.
Si les données sont sensibles (santé, vie sexuelle, opinion politique…) ou pénales (procédure judiciaire ou condamnation), le seul motif de refus à un demande de déréférencement est l’information du public. Pour les données touchant à la vie privée sans être sensibles, il suffit qu’il existe un « intérêt prépondérant du public à accéder à l’information en cause » pour que la requête de l’internaute soit légalement rejetée par l’exploitant du moteur de recherche. Au-delà des caractéristiques des données concernées, le Conseil d’Etat déclare qu’il faut prendre en compte « le rôle social du demandeur », c’est-à-dire sa notoriété, son rôle dans la vie publique et sa fonction dans la société. Il faut également examiner les conditions dans lesquelles les données ont été rendues publiques et restent par ailleurs accessibles.
Tout ne peut pas être gommé
Cherchant à trouver un équilibre entre le respect de la vie privée du demandeur et le droit à l’information du public, le juge administratif donne, pour la première fois, un mode d’emploi à la Cnil et aux exploitants de moteur de recherche pour arbitrer les demandes de référencement formulées par les internautes.
Ainsi, pour les données sensibles (santé, vie sexuelle, opinions politiques, convictions religieuses) ou portant sur une procédure judiciaire, le Conseil d’État considère qu’une demande de déréférencement ne peut être refusée par Google que si l’accès aux données est « strictement nécessaire à l’information du public ». Cette position est conforme à celle dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne en 2014 sur le droit à l’oubli numérique.
Concernant les autres données touchant à la vie privée, il suffit qu’il existe « un intérêt prépondérant du public » à accéder à l’information en cause pour que le droit au déréférencement soit refusé.
Par ailleurs, au-delà des caractéristiques des données personnelles en cause, d’autres paramètres sont à prendre en compte lors de la demande. Il s’agit du rôle social du demandeur (sa notoriété, son rôle dans la vie publique et sa fonction dans la société) et des conditions dans lesquelles les données ont été rendues publiques (par exemple, si l’intéressé a de lui-même rendu ces informations publiques) et restent accessibles.
Le déréférencement n’est pas égal à la suppression
Le Conseil d’Etat ne revient pas sur une information capitale : le déréférencement ne signifie pas l’effacement des données. En effet, le contenu original reste inchangé et est toujours accessible, en utilisant d’autres critères de recherche ou en allant directement sur le site à l’origine de la diffusion.